• Semi-Cécité

    Claqué.

    Mal au dos.

    Mal à la tête.

    Mal au cœur.

    Je rentre d’une journée de 10 heures. Fatigué .Ma gamine est même pas là. Pas de cœur. En train de se faire sauter. Et ma table, ma table à moi, elle est vide, elle est froide. J’sais pas pourquoi je les ai fait, moi, ces mangeurs de vie. Me sucent jusqu’au sang, me prennent tout ce pourquoi je ne m’arrête jamais de bosser comme une bête. Et derrière ils veulent même pas te voir, oublient de te dire bonjour, mangent même pas le repas que t’as passé trois putain d’heures à préparer, par contre ton fric, ils te le boufferaient tout entier si tu les laissais faire. Bande d’ingrats.

    Celle qui me reste fait encore du bruit, elle pourrait pas…

    Merde, arrête de me pousser ! Même dans mon lit on veut plus de moi. Merde, j’existe moi aussi.

    Claqué.

    J’aimerais juste dormir. Oublier et fermer ces yeux qui me brûlent.

    Mal au cœur.

    Bon, toi t’as intérêt à ramener ton cul dans ton lit avant que je doive me lever.

    « Vas te coucher maintenant et ferme là ! »

    Tiens, ma gamine doit être en train de se faire baiser. En ce moment même. Ça viendra aussi pour l’autre. Ouai, je me serais fait castrer si j’avais su. C’est que du malheur. Même si je les aime mes gosses... Par contre elle est en train de me chauffer là, elle peut pas fermer sa grande gueule ! Merde, je me lève dans six heures moi ! Je sors d'une longue journée de boulot. Pour elle, pour qu'elle ait un toit sur sa tête et un truc dans le ventre. Mais rien à foutre, laisse tomber, elle en a rien à foutre !

    « -Allô ? Ah c’est toi… Si si ça va, c’est juste que tu tombes un peu mal, j’allais me coucher et mes parents dorment à côté. Non, attends ! Pourquoi tu m’appelles, tu as une toute petite voix… Encore ton patron qui fait des siennes ? Raconte moi tout ! Mais non, t’en fais pas, je suis là pour toi. Hé, doucement, doucement, pourquoi tu pleures ? La goutte d’eau de trop ? Je comprends, excuse-moi… Raconte-moi tout, je t’écourterai aussi longtemps qu’il le faudra.

    Pourquoi il ne cesse de te rabaisser, la pression des bouclages est déjà assez oppressante pour toi. C’est révoltant, il est ignoble, comment peut-il faire des choses pareilles… Oui, je sais, ton état de fatigue n’améliore rien. Mais il n’y a personne à qui tu pourrais en parler, un supérieur, un collègue…?  Okay, il n’en ont rien à faire et tes camarades te rabaissent et te laissent de côté… Je ne sais pas trop quoi te dire… En tout cas je suis là pour toi ! Ce bruit ? Oh euh, juste mon père, c’est rien... T’en fais surtout pas, mais non, il y a pas de soucis, tu as besoin de parler. Je vais un peu baisser la voix et ça ira.

    Tu ne pourrais pas démissionner? Attends, attends attends ! Laisse moi t’expliquer : Tu ne peux pas continuer comme ça, tu es malheureuse, et honnêtement tu n’es plus que l’ombre de toi-même... Tout ça parce que tu n’as plus de liberté. Rien ne vaut sans elle. Je sais bien que des personnes comptent sur toi, mais… Il faut que tu saches qu'aucun être vivant ou divin ne viendra te libérer. Pas plus que les hommes politiques, ou tes supérieurs : tu ne peux compter que sur toi. Et puis, si tu veux que les conditions des salariés, et des êtres humains s’améliorent il faut que tu ouvres le chemin. Si ça se trouve personne ne le fera jamais si tu n’agis pas. Ça ne changera rien pour les autres ? Pour moi si, tous les choix influent sur l’être humain, sur ses normes, ses valeurs et sa condition. Je ne sais pas, ma belle, je ne sais… »

    Le téléphone tombe. Un appel de Lou au loin. Boum. Il éclate en morceau. On me pousse. Je tombe. Douleur. Des cris. Une face rouge déformée par la rage.

    J’ai peur.

    Il faut te respecter ma petite. Lève les yeux.

    Dois résister. Donner l’exemple. Défendre ma liberté.

    « -Je suis désolée, j’aurai du faire plus attention mais c’est pas une raison pour… 

    -La ferme ! LA FERME! »

    Son corps tremble de rage. Le mien est secoué par des sanglots retenus. Une gifle me brûle la joue.

    Mise à terre par la tempête et fouettée par elle, je ne peux qu’attendre, sous une pluie d'insultes et de reproches, qu’elle se retire.

    La honte au cœur et ma liberté poignardée.


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